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5 février 2011 6 05 /02 /février /2011 14:15

Le journaliste et écrivain ivoirien Venance Konan a bien connu Laurent Gbagbo. Le 10 janvier, la police du “président” lui a rendu une petite visite. Venance répond à Gbagbo et imagine une rencontre.

Ah Laurent ! Nous voici à nouveau face à face, pour nos longues nuits de veille. Tu es fatigué, Laurent. Je le suis aussi. Comme le reste du monde à qui tu tiens tête.

Mais laisse-moi te dire cela d'abord. Le lundi 10 janvier, tes sicaires appelés Cecos (Centre de commandement des opérations de sécurité), censés assurer la sécurité des habitants d'Abidjan mais qui se sont surtout illustrés par les meurtres gratuits, les rackets, les enlèvements, se sont rendus à mon ancien domicile. Ils voulaient savoir si j'y habitais toujours. Ils n'ont pas dit ce qu'ils me voulaient mais je le devine. Ils ont à leur actif des dizaines de meurtres depuis l'élection qui nous a plongés dans cette crise. L'ONU et les organisations de défense des droits de l'homme parlent de plus de deux cents morts.

"Quelque part, je t'admire"

Si tu m'en avais parlé, Laurent, je t'aurais dit que j'avais déménagé depuis longtemps. Pas à cause de toi, je te rassure, mais je réalise que j'avais bien fait. Je sais, tu me diras que ce n'est pas toi qui les as envoyés. Tu n'as jamais envoyé qui que ce soit tuer les gens que tu n'aimes pas ou qui te dérangent. Les escadrons de la mort qui ont sévi dans le pays à partir de novembre 2002, après qu'une rébellion a occupé la moitié de ton pays, tu n'y es pour rien. On en reparlera. Mais en attendant, Laurent, je serai obligé de vivre caché et je ne sais pas si j'aurai encore l'occasion de venir parler avec toi comme je le fais ce soir.

Quelque part, je t'admire, mon ami. Il faut vraiment être toi pour croire que tu auras raison contre le monde entier. Chez toi, en pays bété, dans l'ouest de la Côte d'Ivoire, on t'appelle le Woudy, ce qui signifie le "garçon". Le garçon, c'est l'homme courageux, celui qui n'a peur de rien. Et tu n'as peur de personne. Ni de tes pairs de la Communauté économique des Etats d'Afrique de l'Ouest (Cédéao), ni de l'Union africaine, ni des Européens, ni de l'ONU. Tu es le Woudy de Mama, ton village natal. Tu avais écrit, en 1979, dansSoundjata, Lion du Manding (éditions CEDA), à la page 18 : "Je suis au pouvoir, j'y reste." Tu l'as rééditée lorsque tu es devenu président de ton pays. Personne n'avait fait attention à cette petite phrase. "Je suis au pouvoir, j'y reste." Tu l'as répétée dans une interview accordée à un hebdomadaire panafricain, quelque temps avant l'élection présidentielle. Tu as perdu le pouvoir, face à Alassane Ouattara mais tu as décidé que ton pouvoir, tu ne le cèderas à personne. "Je ne suis pas de ceux qui chantent la paix, alors que leurs peuples sont l'objet d'agressions quotidiennes", avais-tu écrit à la page 83 de ton livre.

Ah Laurent ! Nous sommes tous fatigués. Mais tu es tenace. Tu ne cèdes jamais. Et tu ne cèderas pas. Qui sait si tu ne finiras pas par avoir raison de moi et de tout le monde ? Tu t'es déjà sorti de tant de situations que l'on croyait perdues d'avance ! Quel artiste tu es, Laurent ! Quelle que soit l'issue, Laurent, je te tirerai quand même mon chapeau.

Nous voici donc face à face, les yeux rougis par la fatigue. Je sais, toi, tu as fait comme Zakouato, l'oiseau mythique de chez toi qui a la charge de veiller sur le village. Tu t'es arraché les paupières pour ne pas te laisser surprendre par le sommeil. Je ne suis pas pourchassé par le monde entier comme toi.

Je viens juste t'entretenir, pour t'aider à passer tes longues nuits. Mettons de la musique pour tenir. Aimes-tu Tiken Jah ? Non. Dans une de ses chansons, il te demande de quitter le pouvoir. Effectivement, toi, tu as dit que le pouvoir, tu y es et tu y restes. Tu ne peux donc pas aimer un tel chanteur. C'est dommage, moi je l'aime bien. En plus, c'est mon copain. Tu préfères les chants guerriers de chez toi ? Allons-y donc pour la musique bétée.

De quoi parlerons-nous ce soir, Laurent ? Laisse-moi d'abord te donner des nouvelles de ton pays.

Le mardi 11, il y a eu des affrontements dans le quartier d'Abobo à Abidjan, qui est le fief de ton ennemi Alassane Ouattara, celui que le monde entier reconnaît comme le vainqueur de l'élection. Il y a eu quatre morts. A Daoukro, chez ton autre ennemi, Henri Konan Bédié, l'ancien président qui a été éliminé au premier tour de l'élection présidentielle que tu prétends avoir gagnée, il y a eu aussi des affrontements. On a parlé de deux blessés. J'étais à Daoukro la semaine dernière. Tu sais que Daoukro, c'est aussi chez ma mère. Elle se faisait beaucoup de souci pour moi, à cause de toi, et je suis allé la rassurer. Je ne sais pas dans quel état elle sera lorsqu'elle apprendra que des gens de ton Cecos me cherchent partout dans la ville.

Là-bas, ils ont voté à plus de 80 % pour Bédié au premier tour, et pareil pour Ouattara au second tour. Je peux t'assurer qu'à Daoukro, ils ne t'aiment pas du tout. Quand tu chercheras un endroit où aller te cacher, il te faudra éviter Daoukro. C'est un conseil d'ami. On ne trouvait plus de journaux, ni de bière de la marque Tuborg dans la ville quand j'y étais, je ne sais pas trop pourquoi. C'est vrai qu'il n'y a plus beaucoup de camions qui vont d'Abidjan à l'intérieur du pays. Mon ami Anira qui ne boit que cette bière était furieux contre toi. C'est moins dramatique que ce qui se passe à Duékoué, dans l'ouest extrême de ton pays. Depuis quelques jours on y assiste à des affrontements meurtriers entre les différentes ethnies ou tribus, ce qu'en Europe on appelle communautés. Il y a beaucoup de morts. Je n'en connais pas le nombre exact. Personne ne le sait encore. Pendant ce temps, des dizaines de milliers de personnes fuient pour aller au Liberia voisin.

A Abidjan, la vie semble normale. Les gens vont au travail, il y a des embouteillages partout, comme tous les jours. Mais le soir, les maquis, ces endroits où nous allons boire et manger, sont désespérément vides. Même la rue Princesse à Yopougon, là où tu avais envoyé s'encanailler tes camarades Jack Lang et Jean-Marie Le Guen, ces deux députés socialistes français, est devenue d'une de ces tristesses ! Plus de putes, plus de tables chargées de bouteilles de bière.

Je te fais remarquer, juste en passant, que ton camarade Jack Lang t'a demandé de laisser le pouvoir que tu as perdu. Lang n'est plus ton camarade ? Excuse-moi alors. Ce n'est pas cela qui t'intéresse ? Je sais, Laurent Koudou Gbagbo, fils de Paul Zépé Koudou Gbagbo, ce que tu aimes par-dessus tout est que je te raconte ta vie. Alors, laisse-moi te la raconter encore une fois.

Faut-il que je rappelle que tu es né le 31 mai 1945, juste après que ton père est revenu du pays des Blancs où il était allé combattre pour une guerre à laquelle je suis sûr qu'il ne comprenait rien du tout ? Des gens de mauvaise foi ont calculé que tu es né juste quelques jours après le retour de ton père. Et en ont déduit que tu serais le fils du Malinké auquel ta mère était mariée avant Paul. C'est Marguerite, ta mère, qui nous a parlé de ce premier mariage, peu de temps après la mort de ton père. Les Malinkés sont les populations du nord de la Côte d'Ivoire, et même au-delà. C'est l'ethnie d'Alassane Ouattara, celui à qui tu refuses de céder le pouvoir. Y a-t-il un lien ? Va savoir ! Ton enfance pauvre, tous les Ivoiriens la connaissent par coeur. Tu l'as racontée mille fois. Est-ce pour cela que tu as voulu à tout prix le pouvoir ? Tu as dû comprendre très tôt qu'en Afrique, c'est le pouvoir politique qui donne la richesse dont tu rêvais. Alors tu as cherché le pouvoir suprême.

 

La suite de l'article : http://www.lesinrocks.com/actualite/actu-article/t/58144/date/2011-02-02/article/gbagbo-tu-connais-les-regles-quand-tu-perds-tu-te-casses/



 
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