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12 août 2010 4 12 /08 /août /2010 11:53

 

·         C'est une histoire qui n'a pas été facile à raconter. Enfouie pendant des années, des décennies, au plus profond de son corps et de ses souvenirs. Il aura fallu que les affaires de pédophilie dans l'Église resurgissent, une fois de plus, au mois de mars 2010, et que Benoît XVI renâcle à les reconnaître et à s'en excuser, pour que Pierre Gouet décide de se confier. Abonné et lecteur fidèle de Mediapart, il a envoyé un email faisant part de son désir de parler, après une semaine de nuits sans sommeil. Pour raconter son histoire, à la fois emblématique et unique. Emblématique, parce que des gamins victimes de violeurs en soutanes, dans les années 1950, il y en a probablement eu des milliers rien qu'en France. Unique, parce que son contexte familial lui a fourni un point d'observation privilégié sur le fonctionnement de l'Église et sur ses connivences avec une partie de la droite française.

Il y a beaucoup de blancs dans l'enregistrement du témoignage de Pierre Gouet. Des hésitations, mais aussi de l'émotion contenue. Une douleur longtemps ravalée. Nous avons choisi de vous présenter son récit, en deux parties, de manière brute et extensive.

Pierre Gouet, le 10 juin 2010© Thomas Cantaloube

 

Origines

« Je suis un fils de paysan originaire de la Sarthe. Mon père a été prisonnier de guerre, déporté, et il est mort des suites de captivité en 1951. J'avais sept ans et demi. Le conseil de tutelle, présidé par mon oncle Julien Gouet, qui était vicaire général du cardinal Grente, a dit qu'il fallait que j'aille en pension. J'ai donc été envoyé à la psallette de la cathédrale du Mans.

« Ma mère était vivante, mère de huit enfants et vivait dans une petite ferme. Pour elle, c'était une certaine libération, même si j'ai su plus tard que c'était très dur pour elle de se voir dépouiller de ses enfants.

« Je suis rentré à la psallette en octobre 1951. C'était très difficile. J'étais un gamin complètement perdu. Mon frère, qui avait dix ans de plus que moi, était séminariste au Grand Séminaire du Mans. Pour la petite histoire, il a été surveillant de François Fillon à Saint-Michel-des-Perrais. Il était très turbulent... J'avais un autre oncle jésuite. Pour mon grand-père, le fait que ses enfants servent l'Église était une sorte de promotion. »

 

La psallette

« J'arrive à la psallette de la cathédrale du Mans en octobre 1951. On était aux alentours de quarante élèves. Il y avait un professeur qui s'appelait Georges Blin. Il était là depuis 1934. Ce n'était pas une pension très riche. Les parents donnaient des produits pour les repas des enfants. Ceux qui étaient riches donnaient des bonnes choses, et les fils de paysans comme moi n'apportaient pas grand-chose. Nous étions dans le fond du réfectoire, et on était les derniers servis.

 

La Cathédrale du Mans sur une vieille carte postale© DR

« C'était une vie d'étude assez rude. On se levait vers 6 heures le matin pour aller dans une cathédrale très froide. Celle du Mans est très belle, mais glaciale pour un gosse qui sort de son lit. On assistait ou on servait une messe. Après il y avait le petit-déjeuner et on filait aux études. Le chant, l'apprentissage du solfège et de l'harmonium, faisaient partie intégrante du cursus.

 

« Outre la vie scolaire, qui se déroulait selon un rythme habituel, il y avait la vie de loisirs des gamins. Les récréations, des films sur les saints. Et beaucoup de péplums. Cela chahutait un peu le gamin que j'étais, car dans ma famille tout ce qui avait trait à la nudité était caché. Insidieusement on nous faisait découvrir le corps de l'homme par une série de films sur les héros chrétiens qui se battaient quasi dénudés contre les lions au temps de César ou de Néron. Pour des gamins de huit-dix ans, surtout lorsqu'ils vivent en vase clos, cela travaille un petit peu... En plus, le confesseur nous faisait réfléchir sur le péché, revenant souvent sur ceux de la chair. Ce faisant chez un gamin qui devient progressivement adulte, il éveillait un questionnement intérieur. »

  • Il me disait: « Si tu fais cela, tu en auras une belle comme moi. »

Dans les années 1950, en Mayenne, l'autorité de l'Église pesait encore de tout son poids dans la société. C'était une période pré-Vatican II, d'avant les prêtres-ouvriers ou du message social de l'abbé Pierre. Son pouvoir temporel se confondait avec le spirituel. Personne ne mettait son nez dans ses affaires. Les enfants n'étaient pas tout à fait des personnes. L'Église les accueillait ou les recueillait pour en faire de bons catholiques, mais ne se souciait pas vraiment de ce qui leur arrivait entre les mains de ceux chargés de leur éducation.

 

Le père Blin

« Les choses ont commencé à basculer en 1952. Plusieurs d'entre nous ont été choisis par le père Blin pour apprendre et réciter la messe en latin. Nous étions très fiers d'être sélectionnés pour cela. C'était un petit jeu de déguisement, nous étions habillés de vêtements liturgiques et nous manipulions des objets cultuels miniatures. Cela se passait généralement pendant que les autres étaient partis en promenade dans un bois autour du Mans. On avait donc toute une après-midi avec lui.

« J'étais un enfant assez sensible. Je voyais mon tuteur, mon oncle Julien Gouet, tous les jours, j'allais goûter chez lui à l'évêché du Mans. C'était quelqu'un d'accueillant, de sécurisant, mais d'un peu froid.  Comme j'avais perdu mon père, j'attendais plus d'affection. Le père Blin était plus chaleureux. Il savait se rendre paternel.

 

Le père Georges Blin, en 1953© DR

« Un jour, on avait fini les exercices religieux. Tour à tour il nous faisait rentrer dans son bureau pour bavarder. Il me prenait sur ses genoux, puis me caressait un petit peu la tête. Ce jour en particulier, ce n'était pas très agréable. J'ai senti quelque chose qui m'interpellait un petit peu. Il avait une érection... Je n'en ai pas fait cas sur le coup, mais je me disais que mon papa, lorsqu'il était vivant, il n'avait pas cela. Il en a profité pour me dire: « Je vais te confesser. » Là, il a sorti son attirail pour que je lui fasse une fellation.

« C'était assez pervers, car il me disait: “Si tu fais cela, tu en auras une belle comme moi.” Je m'y suis plié et soumis. Il avait de l'autorité. Quand on voyait le bonhomme, ce n'était pas un rigolo. Après, il m'a dit: “Je vais te confesser. Et à chaque fois que l'on fera cela, je te confesserai et je te pardonnerai.

« Ça m'a complètement perturbé ce truc de consommation sexuelle et de confession. C'est devenu un rituel pendant quelques mois. C'était surtout pendant les études du soir que j'étais appelé en confession. J'étais dans ma traduction de grec ou de latin et puis on me disait “Gouet, vous êtes appelé en confession.” Il fallait sortir du bâtiment et monter à l'étage chez le père Blin. Les battements de cœur étaient assez forts. Cela me gênait, tout en me procurant une espèce d'éveil de l'érotisme qui me subjuguait. Cela m'éveillait à des choses interdites. Au début, c'était une fois par semaine. Et puis ensuite, parce qu'il y a pris goût, c'était deux ou trois fois par semaine. Il y a eu des périodes où il se calmait, puis ça revenait. »

 

Jeunesse brisée

« Ça a duré de 1952 à 53. Ça m'a bousillé complètement ma jeunesse. J'avais perdu tous mes repères. Je pouvais faire n'importe quoi et j'étais toujours pardonné. Je faisais donc toutes les conneries. La confession et les sacrements étaient devenus une vaste galéjade. On me disait: “Il faut être pur pour communier.” J'étais pur, certes, mais je recommençais trois jours après à faire une fellation à mon confesseur. La confession était, pour ces prêtres, une alimentation de leur érotisme et de leurs fantasmes. Ils avaient l'art et la façon pour tirer les vers du nez à des gamins et des gamines, et repérer les plus faibles.

 

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commentaires

G
<br /> <br /> Salut Jean Louis.<br /> <br /> <br /> C'est certain il y en avait beaucoup plus qu'on ne le pense des pervers de ce genre.<br /> <br /> <br /> En Bretagne c'était la même chose , il fallait se méfier en colonies de vacances par exemple , on était encader par des curés et certains avaient des tendances pas très catholiques.<br /> <br /> <br /> Bon après midi.<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> René<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> <br />
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