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7 octobre 2012 7 07 /10 /octobre /2012 21:11

 

LE DÉCLIN DES MAYAS
 

Jared Diamond s'est aussi intéressé aux civilisations qui se sont écroulées, se demandant si la nôtre est menacée. Aussi, les pages d'Effondrement qui résonnent le plus avec les inquiétudes d'aujourd'hui sont celles qui traitent des civilisations disparues, où la destruction de l'environnement a beaucoup compté : celle de l'île de Pâques, des îles d'Henderson et de Pitcairn, celle des Amérindiens Anazari du sud-ouest des Etats-Unis, des Vikings du Grand Nord.

Et surtout l'empire des Mayas. Diamond montre comment ces derniers ont coupé les arbres jusqu'au sommet des collines afin de fabriquer du plâtre, tout en pratiquant la culture intensive du maïs. Il nous raconte la suite : "Cette déforestation a libéré les terres acides qui ont ensuite contaminé les vallées fertiles, tout en affectant le régime des pluies. Finalement, entre 790 et 910, la civilisation maya du Guatemala, qui connaissait l'écriture, l'irrigation, l'astronomie, construisait des villes pavées et des temples monumentaux, avec sa capitale, Tikal, de 60 000 habitants, disparaît. Ce sont 5 millions d'habitants affamés qui quittent les plaines du Sud, abandonnant cités, villages et maisons. Ils fuient vers le Yucatan, ou s'entre-tuent sur place."

Diamond a dégagé de ses études des "collapsus" (du latin lapsus, "la chute")"cinq facteurs décisifs", qu'il dit retrouver dans chaque effondrement, et parle d'un"processus d'autodestruction la plupart du temps inconscient". Quels sont ces facteurs ? Un : les hommes infligent des dommages irréparables à leur environnement, épuisant des ressources essentielles à leur survie. Deux : un changement climatique perturbe l'équilibre écologique, qu'il soit d'origine naturelle ou issu des suites des activités humaines (sécheresse, désertification). Trois : la pression militaire et économique de voisins hostiles s'accentue du fait de l'affaiblissement du pays. Quatre : l'alliance diplomatique et commerciale avec des alliés pourvoyant des biens nécessaires et un soutien militaire se désagrège. Cinq : les gouvernements et les élites n'ont pas les moyens intellectuels d'expertiser l'effondrement en cours, ou bien l'aggravent par des comportements de caste, continuant à protéger leurs privilèges à court terme.

Jared Diamond a appliqué cette grille à notre époque. "On retrouve les cinq facteurs dans les désastres du Rwanda, de l'Afghanistan, en Somalie, en Afrique subsaharienne, dans les îles Salomon et en Haïti." Il repère encore le "facteur un" (dommages majeurs causés à l'environnement) associé au "facteur deux" (réchauffement climatique d'origine humaine) en Chine, en Russie et en Australie. Il déplore aussi la dégradation écologique du Montana, hier l'Etat le plus boisé des Etats-Unis, dont les neiges éternelles fondent.

Il dresse une longue liste des dommages écologiques qui menacent à court terme la biosphère : la crise de l'eau potable, qui concerne un milliard de personnes, tandis que les nappes phréatiques baissent ; la destruction des marais, des mangroves, des récifs de corail, des pépinières naturelles ; la disparition massive des grosses espèces de poissons marins, la dévastation des fonds des océans ; la désertification des sols et le recul des dernières grandes forêts dans les zones tropicales ; le massacre du fait des défoliants de quantité d'espèces utiles comme les insectes pollinisateurs, les bactéries des sols, les vers de terre, les oiseaux :"C'est comme si on retirait au hasard des petits rivets dans l'assemblage d'un avion ", commente-t-il. Enfin, l'incertitude sur l'amplitude du réchauffement terrestre l'inquiète beaucoup : "Nous ne savons rien d'éventuels nouveaux changements climatiques consécutifs à la modification de la circulation océanique comme à la fonte de la couverture glaciaire."

 

Greenpeace construit un cœur avec les 193 drapeaux des membres de l'ONU sur la banquise de l'Arctique, le 14 septembre 2012.

 

Il rejoint ici les peurs des glaciologues et des climatologues à la suite de la disparition rapide de la banquise arctique, constatée fin août par la NASA. Elle a été réduite de moitié en trente ans. Tous se demandent quelles vont être les répercussions sur le climat. Beaucoup annoncent déjà un accroissement de chaleur et d'humidité, des variations plus fortes des températures, voire des extrêmes inconnus. Sans pouvoir préciser leur impact. Des chercheurs parlent d'une rapide "modification du système des tempêtes dans l'hémisphère Nord". D'autres redoutent un "effet domino" incontrôlable : le rôle de miroir solaire des glaces s'atténuant, le rayonnement va s'aggraver, les glaces vont fondre partout, le Groënland sera touché à court terme, ce qui va accélérer la montée des eaux tout en libérant d'énormes quantités de méthane, gaz à effet de serre puissant. Selon Peter Wadhams, un des spécialistes de l'océan polaire, "il ne sera plus possible de faire quoi que ce soit d'ici dix ans".

Aux Etats-Unis, William Rees, professeur d'écologie à l'université Columbia, a présenté Effondrement comme "un antidote nécessaire" aux écosceptiques. Les climatologues et les chercheurs pour qui nous sommes entrés dans l'"anthropocène" - l'ère où les activités humaines constituent une puissante et dangereuse force géologique et climatique - voient en lui un allié. Quant aux écologistes politiques, ils l'associent au philosophe allemand Hans Jonas, qui, dans Le Principe responsabilité (1979), a mis en garde l'humanité contre"l'irréversibilité" et "l'interdépendance" des atteintes faites à l'environnement.

Les opposants à Diamond ne manquent pas. Des historiens lui reprochent son catastrophisme, d'autres d'accorder trop d'importance aux impacts écologiques, d'autres encore de négliger les causes sociales, politiques, bureaucratiques et religieuses des déclins des sociétés. Beaucoup préfèrent s'en tenir aux analyses faites par l'Anglais Arnold Toynbee dans A Study of History (1934-1961), pour qui"les civilisations meurent de suicide, pas d'assassinat ", du fait de la dégénérescence d'élites profitant de "privilèges héréditaires qu'elles ont cessé de mériter ", devenant incapables de s'adapter aux menaces nouvelles.

INNOVER FACE AUX DANGERS

Face au désastre annoncé, certains opposent les travaux de l'archéologue Joseph Tainter dans The Collapse of Complex Societies (1990), où il affirme que les sociétés élaborées ont su gérer "l'adversité environnementale" grâce à leur"administration centralisée". Ce dernier ne peut croire à "l'idiotie des élites face au désastre". Un groupe d'anthropologues américains a publié en 2009 Questioning Collapse, où ils recensent nombre d'erreurs et d'exagérations faites par Diamond dans sa présentation du déclin des Mayas, mais, surtout, où ils défendent la capacité de résilience des sociétés menacées. C'est là un argument récurrent des opposants aux thèses d'Effondrement : l'ouvrage oublie le principe d'espérance, sous-estime le génie humain et sa propension à réagir, à avoir un sursaut, à innover face aux dangers.

Ces critiques sur son pessimisme, Jared Diamond les écarte : "On oublie le sous-titre de mon livre : "Comment les sociétés décident de leur disparition ou de leur survie". Nous avons encore le choix... Dans Effondrement, je décris plusieurs sociétés qui ont su déjouer les drames environnementaux, comme les Japonais sauvant leurs forêts à l'époque d'Edo et les Néerlandais avec leurs polders. D'où ma métaphore : "Nous devons penser la planète comme un polder"."

Quant aux arguments de Tainter sur le sursaut des élites, Jared Diamond aimerait y croire. Mais il reproche à cet historien de ne pas voir "l'aveuglement des chefferies",qui mènent une vie protégée, comme la classe riche d'Haïti perchée sur la colline de Piétonville, au-dessus de Port-au-Prince dévasté. Et quand on lui reproche de donner trop d'importance à la géographie et à l'écologie, Diamond a cette formule : "Allez vous promener nu au pôle Nord ou sous un soleil brûlant, ou encore faites-y pousser du blé, et ensuite revenez me parler du faible rôle du climat sur l'Histoire et l'esprit humain."

Frédéric Joignot

Le douloureux "facteur 32"

 

Certains critiques reprochent à Jared Diamond d'exagérer les risques de surpopulation, les dramatisant à l'excès, d'incarner ce mépris occidental pour les habitants des pays du Sud qui entendent consommer comme nous, et de ne pas s'intéresser aux solutions concrètes que ces pays du Sud pourraient inventer. "La population n'est pas le problème, mais ce qu'elle consomme et dégrade, oui, répond Jared Diamond. Si les hommes vivaient dans une chambre froide, nous n'aurions aucun problème de ressource."

 

Il fait cette comparaison : "Le Kenya a une population qui croît de plus de 4 % par an. C'est un problème pour les 30 millions d'habitants de ce pays qui souffrent de malnutrition, mais pas un fardeau pour le reste du monde, car les Kenyans consomment peu. Le problème, ce sont les 300 millions d'Américains qui, chacun, consomment autant que 32 Kenyans. Ils font payer l'addition à tout le monde : émissions, réchauffement, déforestation, élevage de masse."

 

Jared Diamond parle d'un "facteur 32" qui fait mal à la planète. "La consommation moyenne par habitant de ressources comme le pétrole et les métaux, ou la production moyenne de déchets, comme le plastique ou les gaz à effet de serre, sont en moyenne 32 fois supérieures dans les pays développés." Il en tire des conclusions alarmistes. "Les taux de consommation en Chine sont onze fois inférieurs aux taux américains. Mais si demain toute la Chine rattrapait le niveau de vie des Américains, la consommation mondiale de pétrole augmenterait de 106 % et celle des métaux de 94 %. Si l'Inde suivait, elles tripleraient. Tout comme les émissions de gaz à effet de serre et les pollutions de toutes sortes."

 

Et si du fait de l'essor de la Chine, de l'Inde et d'autres pays, la consommation mondiale augmentait onze fois, cela équivaudrait, conclut Jared Diamond, à l'équivalent d'une population mondiale de 72 milliards d'habitants. "Les optimistes pensent que nous pourrions vivre à 9,5 milliards sur Terre, mais le pourrions-nous à 72 milliards ? Non, les ressources terrestres n'y suffiraient pas..."

 

A lire

 

  • De l'inégalité parmi  les sociétés. Essai sur l'homme et l'environnement dans l'histoire, de Jared Diamond (Gallimard, 2000, rééd. 2007).
  • Le troisième chimpanzé. Essai sur l'évolution et l'avenir de l'animal humain, de Jared Diamond (Gallimard, 2000).
  • Voyage dans l'anthropocène, cette nouvelle ère dont nous sommes les héros, de Claude Lorius (Actes-sud, 2011).
  • Le principe responsabilité. Une éthique pour la civilisation technologique, de Hans Jonas (ed. du cerf, 1990).

 

Sources : Lemonde.fr

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