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20 janvier 2008 7 20 /01 /janvier /2008 14:27
Analyse
Que sont les globe-trotters devenus ?, par Bertrand Le Gendre
LE MONDE | 19.01.08 | 14h02  •  Mis à jour le 19.01.08 | 14h02
 
u'il est loin le temps où l'on pouvait partir le nez au vent sur les pistes du Sahara, dans la cordillère des Andes ou sur les bords du Mékong ! Désormais, qui prétend voyager hors des sentiers battus passe pour une tête brûlée ou un irresponsable. Le monde est dangereux, dit l'air du temps. Enigmatique et inamical. Le Rallye Paris-Dakar 2008 a été annulé. Des pays entiers sont marqués au fer rouge par le Quai d'Orsay, qui déconseille aux voyageurs de s'y risquer. Message reçu : les Français partent de moins en moins à l'étranger.
 
Indice de ce repli sur soi, les figures du coopérant et du routard ne font plus rêver. Dans le rôle du coureur de continents qui suscitait les vocations, il restait le "French Doctor", l'humanitaire intrépide et altruiste. Les mésaventures de L'Arche de Zoé au Tchad l'ont à son tour dévalorisé.
Echaudé par cette affaire et par d'autres, le ministère des affaires étrangères se montre de plus en plus précautionneux. Dans leurs "conseils aux voyageurs", les services de Bernard Kouchner égrènent, pays après pays, les bonnes raisons de rester chez soi : "Le Bénin subit actuellement des coupures d'électricité fréquentes, inopinées, et parfois prolongées, y compris en ville, cause possible d'insécurité. (...) Il est en conséquence recommandé (...) d'éviter les trajets à pied." L'Afrique noire vue de mon 4 × 4...
Thaïlande : "Durant les périodes pré- et post-électorales, il est recommandé de se tenir (...) à l'écart des rassemblements (...). Les violences se poursuivent au sud du pays. Un risque d'extension à Bangkok n'est pas exclu."
Argentine : "Buenos Aires, parce qu'elle ressemble sous bien des aspects à Paris ou à Madrid, peut susciter un sentiment relatif de sécurité. Pour éviter tout désagrément, cette première impression doit être dépassée. L'insécurité est bien réelle en Argentine." Egypte, où Nicolas Sarkozy s'est aventuré en vacances, sous bonne escorte, il est vrai : "Comme l'ensemble des pays de la région, l'Egypte est exposée au risque terroriste, en particulier les stations balnéaires du sud du Sinaï."
Le plus étonnant, c'est que cette suspicion généralisée, cette frousse officielle, englobe des pays que l'on croyait sans danger. Monaco, par exemple : "Quelle que soit la qualité du maintien de l'ordre mis en place par les autorités, il est toutefois exclu d'imaginer que ce pays soit à l'abri de tout acte terroriste, compte tenu de ses activités diplomatiques et des personnalités du monde de la finance, du sport et de la politique internationale qui y passent."
Effroi sans frontières. Prétention, en même temps, de la France à l'universalité. Cette contradiction émousse, à force, notre expérience de l'autre, qui ne repose plus que sur des archétypes : damnés de l'Afrique subsaharienne, Asiatiques dopés à la mondialisation, Latinos aimantés par le Nord... A l'heure, justement, où il faudrait nuancer.
L'excuse est toute trouvée : la planète serait un guêpier, sinon un coupe-gorge. Plus qu'hier ? Une tradition en tout cas s'est perdue, qu'illustraient pour le meilleur et pour le pire le colon et l'explorateur, le missionnaire et l'aventurier.
Aujourd'hui, la plus bénigne épidémie de grippe aviaire, le moindre tremblement de terre survenus à des milliers de kilomètres de l'Hexagone mettent le "20 heures" de TF1 en émoi. Informés en temps réel des drames petits et grands surgis à l'autre bout du monde, les Français surréagissent. Ils sont de plus en plus casaniers.
Ils voyagent moins. Selon la direction du tourisme, 11,979 millions de Français sont partis à l'étranger en 2004 et seulement 11,682 millions en 2005. En 2006 - derniers chiffres connus -, ils n'étaient plus que 11,385 millions.
Près de 600 000 Français ont ainsi renoncé à visiter un pays tiers en trois ans. En plus, ceux qui franchissent les frontières s'aventurent rarement très loin. Deux tiers de ces voyages (66 %) ont pour destination un pays européen ; 15,5 % l'Afrique, le Maroc et la Tunisie surtout ; 7 % les Amériques ; et 5,1 % l'Asie ou l'Océanie.
CHACUN CHEZ SOI, CHACUN POUR SOI
Ces chiffres le montrent : la France a de moins en moins le goût de l'ailleurs. On la savait hostile à l'immigration, sinon xénophobe. On la découvre pantouflarde. C'est que les deux sont liés, rejet de l'autre et repli sur soi. Alors que tombent les barrières douanières, l'incompréhension s'installe entre les peuples. Chacun chez soi. Chacun pour soi. Clash des civilisations en vue. Le principe de précaution, l'excès de précautions plutôt, donne corps à cette menace, tandis que la liste des pays à éviter s'allonge. Celle que le Quai d'Orsay tient minutieusement à jour en témoigne.
Victimes expiatoires de cet ostracisme, les Mauritaniens et les Sénégalais s'alarment de l'annulation du Rallye Paris-Dakar pour cause d'attaque terroriste. Cette annulation - cet arrêt définitif peut-être - n'a guère ému les "bobos", qui se font, de loin, une idée moins pétaradante de l'Afrique.
Blessé par tant d'indifférence, le cinéaste mauritanien Abderrahmane Sissako, auteur du film Bamako, a eu ce cri du coeur dans Libération : "Je vous invite à venir en Mauritanie comme nous avons continué à aller (...) à Madrid, à Londres, à New York après des attentats autrement meurtriers."
Qui l'entendra ? Qui se risquera demain sur les rives du fleuve Sénégal d'où viennent les Soninké qui peuplent nos banlieues ? Que sont les globe-trotteurs devenus ? Les Rimbaud, les Ella Maillart, les Bruce Chatwin...
Les élites de demain ne se reconnaissent plus dans ces icônes d'hier. Elles sont beaucoup plus popotes. Elles voyagent, bien sûr. Elles partent en vacances dans les Cyclades avec papa-maman ou émigrent à Barcelone pour une année Erasmus, façon L'Auberge espagnole du cinéaste Cédric Klapisch. Elles sont en stage HEC à la City ou font la plonge dans un pub de Dublin pour payer leurs études. Mais, comme leurs parents, elles connaissent mal le vaste monde, celui de demain, excepté la vieille Europe, miroir d'elles-mêmes.
Il y a des exceptions, bien entendu, même si un indice ne trompe pas : ces clichés ont supplanté dans l'inconscient collectif l'image du soixante-huitard qui filait en 2CV Citroën jusqu'à Katmandou, ou celle du coopérant idéaliste, tout heureux d'échapper, à Tunis ou à Madagascar, au service militaire.
Si ces stéréotypes sont à ce point répandus, s'ils ont pris tant de consistance, c'est pour nous inviter à nous interroger sur notre époque.
Bertrand Le Gendre
Article paru dans l'édition du 20.01.08.
 
 
 
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