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15 février 2011 2 15 /02 /février /2011 17:45

"Pour être diplomate, il ne suffit pas d'être bête, encore faut-il être poli." Les préjugés ayant la vie dure, la formule continue de faire recette, comme voudrait le montrer, ces jours-ci, la campagne lancée contre les diplomates du Quai d'Orsay. Déjà qu'ils passaient leur temps à se prélasser dans les palais de la République aux quatre coins du monde, qu'ils étaient tout juste bons à offrir un peu de champagne au 14-Juillet (et encore, de moins en moins avec les restrictions budgétaires), et qu'ils étaient court-circuités par les relations directes entre chefs d'Etat ; voilà maintenant qu'ils ont été incapables de prévoir la chute de Zine El-Abidine Ben Ali et d'Hosni Moubarak. On vous le dit : ils sont nuls, archi-nuls, ces diplomates du Quai d'Orsay. Des ringards, des mollassons, des snobs, des petits marquis, des inutiles, quoi.

Autant vous le dire tout de suite, j'ai été l'un d'entre eux, ce qui me rend évidemment suspect mais ne m'empêche pas de vous livrer trois secrets.

Premier secret : personne ne prévoit jamais rien, ni l'effondrement soudain de l'Union soviétique, ni la Révolution iranienne de 1979, ni l'invasion du Koweït par Saddam Hussein en 1990, ni la crise financière de 2008, ni la chute de Ben Ali et de Moubarak. Les révolutions ont ceci de particulier qu'elles paraissent toujours inéluctables a posteriori et impossibles a priori. Il est donc ridicule de s'en prendre aux diplomates pour n'avoir pas prédit ce qu'aucun service de renseignement d'aucun pays occidental n'avait anticipé. Le problème n'est pas là. Il est dans les comportements antérieurs, sur place et à Paris, à l'égard des régimes autoritaires en place et de l'opposition intérieure à ces régimes.

Et là, il y a deux choses à dire : premièrement les ambassadeurs sont des êtres humains ; ils ne sont donc pas tous des héros. Mais si certains ne se sont pas couverts de gloire sous des dictatures, d'autres, plus nombreux, ont été à la hauteur des événements, aussi bien dans les télégrammes envoyés à Paris que dans leurs relations avec les opposants sur place. Deuxièmement, on ne peut pas demander aux diplomates d'être plus royalistes que le roi. Quand, depuis trente ans, les plus hautes autorités de la République décernent des brevets de démocratie à des régimes autoritaires et reçoivent avec faste leurs dirigeants, cela n'encourage pas vraiment les diplomates qui sont censés appliquer la politique du gouvernement, à lancer des appels à la révolte. En d'autres termes, on ne peut pas mettre sur le dos des diplomates ce qui relève d'abord des décisions prises par les dirigeants de l'Etat.

Deuxième secret : le drame des diplomates, c'est qu'ils font un vrai métier, un beau métier, un dur métier, dont leurs familles font souvent les frais, qu'ils ont en général une connaissance du terrain irremplaçable (demandez à nos chefs d'entreprise), qu'ils sont animés d'un sens de l'Etat peu commun, mais personne ne le sait et ce n'est pas seulement de leur faute. Il est vrai que c'est à peu près la même chose partout en Europe. Maigre consolation. On aurait du mal à faire pleurer dans les chaumières sur le sort des diplomates ou à appeler à manifester dans la rue au nom de la défense de leur profession. Mais au moins, que chacun balaye devant sa porte : que les diplomates aient confiance en eux, soient solidaires et cessent de faire apparaître le Quai d'Orsay comme la victime vertueuse et consentante d'arbitrages budgétaires parfois injustes ; bref, qu'ils défendent leur métier en sélectionnant les meilleurs, en sanctionnant les gestions défectueuses ou les comportements répréhensibles, en récompensant l'imagination, le caractère et la prise de risque, en bannissant la défense du statu quo. C'est à ce prix qu'ils auront de la part de nos dirigeants un peu plus de considération. Le mal, d'ailleurs, ne date pas d'aujourd'hui.

A l'exception du général de Gaulle, qui avait une haute idée de l'Etat et de ses serviteurs, tous les présidents de la Ve République ont traité leurs diplomates par-dessus la jambe : Georges Pompidou se moquait d'eux en parlant d'adeptes de la tasse de thé et du petit gâteau ; Valéry Giscard d'Estaing et François Mitterrand les considéraient comme des majordomes, et Jacques Chirac comme des poules mouillées. Curieuse attitude qui consiste à discréditer ceux-là mêmes qui vous représentent.

Troisième secret : par les temps qui courent, la politique étrangère est un art de plus en plus difficile, parce qu'aucun pays ne peut prétendre contrôler quoi que ce soit (il suffit de voir les Etats-Unis au Proche-Orient), que les rapports de forces entre les puissances traditionnelles et les nouvelles évoluent à une vitesse impressionnante, parce que les menaces sont plus diffuses et parce que la crise économique et financière exacerbe les intérêts nationaux, etc. Dans ce monde-là, où notre vie quotidienne dépend de plus en plus du monde extérieur et où tout est lié, de près ou de loin, à l'international, le rôle des diplomates est plus important que jamais et leur responsabilité plus grande encore.

Les analyses qu'ils font des situations et les avis qu'ils donnent à leurs dirigeants sur les moyens de défendre nos intérêts, les alliances à constituer, les initiatives à prendre, les contradictions à surmonter, les menaces à écarter, les opportunités à saisir, les négociations à mener doivent être encore plus rigoureuses et plus imaginatives, sans complaisance, sans conformisme, sans tabou et sans peur de déplaire au prince. Aux diplomates d'être à la hauteur ; à leurs chefs de les traiter en conséquence.

Gérard Errera, ambassadeur de France, ancien secrétaire général du Quai d'Orsay

 

Sources : http://abonnes.lemonde.fr/idees/article/2011/02/15/les-diplomates-ne-sont-pas-des-incapables_1480436_3232.html#ens_id=1245377

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